Un projet de loi qui confisque les capacités de prévention des CHSCT au profit de l’employeur.
Dans un précédent article nous avons souligné que la rédaction actuelle du projet de loi sur la sécurisation de l’emploi,
- d’une part outrepassait les termes de la négociation initiale entre les partenaires sociaux.
- d’autre part introduisait plusieurs mesures qui peuvent conduire au harcèlement et à la dégradation de la santé et de la sécurité des travailleurs les plus fragiles : femmes, seniors, travailleurs à temps partiel et futurs chômeurs.
L’une des mesures introduite par les rédacteurs détruit la capacité de prévention des risques dont disposent les représentants du personnel dans les CHSCT.
Les risques
La réalité du fonctionnement de la prévention dans les entreprises montre que l’application du §X de l’article 4 du projet de loi ne sera pas forcément celle prévue par les partenaires sociaux.
Dans le cas de France Télécom, il a été prouvé, tant par les rapports de l’Inspection du travail (rapport Catala) que par les rapports des experts (rapport Technologia), que l’une des causes déterminante, et sans doute la principale, de l’explosion des RPS et des suicides dans l’entreprise était le refus de l’employeur de prendre en compte les analyses et alertes remontées par les CHCST existant.
Au lieu de tenir compte des alertes qui lui étaient remontées directement par les CHSCT, la direction de France Télécom a mis en place ce que propose le projet de loi : elle a passé des accords conventionnels sur l’organisation et la qualité de vie au travail, elle a mis en place une multiplicité de comités et d’instances pluridisciplinaires, se satisfaisant des audits et des mesures coordonnées et décidées par ces instances conventionnelles qu’elle contrôlait..
Le résultat : 10 000 mobilités forcées, des milliers de foyers brisés, plusieurs dizaines de suicides et un cadre qui s’immole par le feu.
Ce que propose le texte de loi
Le code du travail prévoyait déjà (L4613-3) que les CE puissent coordonner les travaux et les expertises des CHSCT . La proposition initiale du MEDEF, en date du 14 novembre 2012, portait exclusivement sur la limitation de “la pluralité des expertises… qui alourdit les coûts pour l’entreprise et allonge les délais” (p 10).
De plus les signataires de l’accord s’engageaient à ce que les délais de l’expertise soient suffisants pour les besoins des élus et contestables si besoin en justice (note 9 P.14 de l’accord).
Le texte de loi ne conserve pas le rôle des CE, mais il met en danger la capacité de prévention des risques des CHSCT.
- En inventant un nouveau comité pluridisciplinaire, organisé par l’employeur,
– dont l’avis peut se substituer à celui des CHSCT (dernier alinéa de l’art L4616-1) ,
– où les représentants du personnel ne sont pas mandatés par leur CHSCT et pour le projet concerné,
– et où ils n’ont qu’une voix délibérative parmi les représentants de l’entreprise (L 4616-2)
- En permettant de surcroît à tout chef d’entreprise d’obtenir, par accord conventionnel la suppression du rôle préventif des CHSCT au profit de n’importe quelle autre structure négociée(L4616-5).
Il omet de plus l’engagement des signataires sur la suffisance des délai d’expertise, en soumettant les délais d’expertise à un décret ou à l’article L 1233-30 du code du travail sans reprendre les garanties de l’accord signé, prévoyant même qu’un accord entérine des délais plus défavorables (L1233-30 8°).
Proposition d’amendement
Un chef d’entreprise n’a pas besoin de ce texte de loi pour négocier, décider et prendre lui même toutes mesures de prévention qu’il jugera nécessaire : la prévention est pour lui une obligation de résultat (art L 4121- 1 et 2) et il est libre de prendre et négocier tout moyens qu’il juge utile.
Il ne s’agit donc pas d’ignorer le besoin de coordination des expertises, tel que demandé à l’origine des négociations, mais de remettre la loi et la prévention sur ses pieds en ne sacrifiant pas les droits des CE et CHSCT existants et en faisant de ces expertises coordonnées l’expression véritable des avis des CHSCT.
La proposition consiste donc :
- A supprimer intégralement le nouvel article L 4616-5 permettant au chef d’entreprise de négocier, par accord conventionnel, la substitution de la capacité de prévention des CHSCT au profit d’une autre instance.
- A remplacer le nouveau comité inventé par le projet de loi (L4616-2) par un véritable CHSCT coordinateur, mis en place par les CE (art L4613-3), et selon les mesures qui définissent les CHSCT dans la loi (articles L 4613 et L 4614), – En précisant (au titre du L 4613-1) que le ou les représentants de la délégation du personnel sont mandatés chacun par leur CHSCT et pour la durée du projet concerné.
- A supprimer la clause L1233-30 8° du projet, et à reprendre la note 9 p 14 de l’accord comme préalable à toute clause fixant le délai de l’expertise.