Danièle Linhart est sociologue, directrice de recherche émérite au CNRS
La remise en question des CHSCT, comme d’autres dispositifs qui visent à préserver la santé des salariés se situe dans le cadre d’une offensive idéologique du management qu’il importe d’analyser car il crée les conditions d’un consentement, d’une acceptation par l’opinion publique et in fine des salariés eux-mêmes de ce qui n’est rien d’autre qu’une attaque en règle de leurs intérêts, de leurs besoins, de leur santé.
L’histoire de la mise au travail capitaliste nous enseigne que les porteurs d’innovations organisationnelles qui impliquent une dégradation des conditions de vie au travail des travailleurs ont toujours pris soin de produire un discours de légitimation. Ce fut le cas de Taylor et de Ford qui sont parvenus, à leur époque, à convaincre même ceux qui avaient une pensée de gauche. Ils présentaient les changements qu’ils mettaient en œuvre (le travail en miettes et à la chaine) comme servant le bien commun, l’intérêt général : en l’occurrence une augmentation de la productivité permettant d’augmenter les salaires et le nombre de produits à consommer.
A quoi assiste-t-on aujourd’hui ?
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A une confiscation de l’entreprise par ses managers. Les managers parle en son nom, comme s’ils représentaient, à eux seuls, tous ceux qui la composent. Ils s’arrogent le droit de dire ce dont l’entreprise a besoin, c’est à dire ce dont tous ceux qui y travaillent ont besoin. Ils mettent en avant le contexte particulier de guerre économique mondiale, où il faut se battre pour préserver les emplois à travers a recherche de performance et de compétitivité. Pour ne pas perdre cette bataille, l’entreprise a besoin de liberté, de simplification, et de réduction d’incertitude.
Elle a besoin de liberté. Entendez : il faut libérer non pas les travailleurs, mais le travail. C’est à dire étendre le travail de nuit, le travail du dimanche, pour le bien de tous. Il faut éviter de compliquer la vie aux dirigeants. Il faut simplifier,. Simplifier le code du travail, limiter les contraintes, permettre des licenciements plus aisés, alléger les dispositifs, éloigner les experts qui sous prétexte de préserver la santé des travailleurs et défendre leurs droits, viennent alourdir le travail des dirigeants, leur compliquer la vie et leur faire prendre des risques. Face à la concurrence et un monde qui évolue vite, les entreprises, nous dit encore le MEDEF, doivent bénéficier d’une réduction de l’incertitude.
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Et cela passe logiquement par une précarisation croissante des salariés que l’on doit pouvoir débaucher et embaucher au gré du carnet de commandes. Non, il ne s’agit pas d’alléger le travail des salariés, de diminuer leurs objectifs souvent démesurés et les procédures, les reportings qui les mettent sous tension. Il ne s’agit pas de leur donner plus d’autonomie dans la définition de leurs missions et des moyens pour y parvenir. Il ne s’agit pas de les libérer de l’empilement de consignes souvent contradictoires. Il ne s’agit pas de les sortir des environnements dangereux et toxiques. Il s’agit de diminuer les contraintes qui pèsent sur leurs dirigeants et qui visent à contrôler les conditions de la mise au travail des salariés. Le Medef énonce et réclame ce dont il a besoin, pour ses entreprises où au fond les salariés ne sont que des intrus qui mettent en danger l’entreprise par leurs exigences inconsidérées et déplacées.
Ce que réclame le Medef et ce sur quoi embraye le gouvernement avec la loi Macron, c’est la santé de l’entreprise et non pas, mais vous l’aurez compris, la santé des travailleurs qui la font vivre. Avec cette idée sans cesse proclamée que ce qui est bon pour la santé de l’entreprise est nécessairement bon pour ses salariés dans une dénégation totale du rapport de forces qui est établi en faveur du management dans un contexte de capitalisme financier.
Si ce discours parvient à convaincre c’est que la stratégie managériale d’individualisation de la gestion et du travail des salariés a fait son chemin et a conduit à une entreprise atomisée dans laquelle le management s’arroge une parole collective. Parole difficile à contrer par des organisations syndicales trop souvent divisées dans le cadre d’une politique managériale systématique du changement qui brouille tous les repères. Il est temps de renverser la vapeur. »
3 commentaires pour “Intervention de Danièle Linhart, membre de l’Observatoire, lors du meeting du 11 février 2015 : « Ne pas perdre sa vie à la gagner »”