Les annonces actuelles de recrutement d’Orange tablent sur «la culture du résultat», c’est à dire celle du ballon à mettre au fond des filets ; au risque de multiplier les hors-jeu?
Le jeu, c’est l’interstice, l’espace situé entre les éléments et qui permet d’éviter les frottements, les grincements et les fatigues du système. Lorsqu’il n’y a pas suffisamment de « jeu », le risque c’est de coincer les rouages de la machine, à l’inverse, trop de jeu peut conduire à un déboitement du système.
Le « hors jeu » au football c’est lorsqu’un joueur commet une faute en raison d’un mauvais positionnement, lorsqu’un attaquant n’a pas attendu qu’un défenseur ait dépassé son niveau pour passer le ballon à un second attaquant situé devant lui. Dans ce cas, l’arbitre siffle, arrête le jeu et donne la balle au camp adverse.
La philosophie du « hors jeu » rappelle que même si l’objectif consiste à mettre des buts, et que c’est le sens de la partie, le joueur doit préserver les chances de la défense, pour la beauté du jeu et le plaisir des spectateurs.
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Au travail, le jeu, c’est la marge de manœuvre laissée aux opérateurs dans l’exercice de leurs activités. Alors que les systèmes de productions tayloriens produisaient du standard en masse, les entreprises de services, telles qu’Orange ont adopté, pour une grande partie de leur production, à la fois une standardisation des process, tout en fournissant des offres diversifiées. Ceci nécessite de la part de l’opérateur de savoir prendre en compte la demande et la situation de son client dans sa relation commerciale. Via les systèmes d’information, les process sont très balisés et les opérateurs, contrôlés tant sur les résultats à atteindre que sur le respect des procédures.
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Il est notoire que le strict respect des process est contre productif, la grève du zèle en est une illustration. Le travail de l’opérateur, c’est l’activité qu’il déploie pour adapter la prescription au réel qu’il rencontre : obligatoirement il triche, de la même manière que les couturières trichent un ourlet. C’est là qu’il utilise ses marges de manœuvre si on lui laisse le jeu nécessaire.
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Or à Orange, l’opérateur est hors-jeu dés lors qu’il ne respecte pas les process. Il est alors convoqué à un « entretien de recadrage », afin de justifier des écarts : (par exemple sur le du non-respect de sa DMT (Durée Moyenne de Traitement), c’est-à-dire du temps passé avec le client, temps qui serait supérieur au temps autorisé par les procédures.)
En cas d’échec de ces « entretiens de recadrage », des managers n’hésitent pas à faire appel au pôle enquête, soutenus par un discours de la filière RH sur le durcissement nécessaire de la période à venir, au vue des défis que l’entreprise aura à relever. Certains discours RH les appellent à être vigilants à l’instrumentalisation des RPS par des opérateurs ou par les organisations syndicales, dans l’objectif de faire pression sur eux. Sont oubliés les obligations de résultats qui leurs sont imposés sans négociation, la pression n’est présentée que venant du bas, et ils sont invités à reprendre la main, quitte à devoir sanctionner.
La mission du pôle enquête, fusion des audits et de l’inspection générale dans la fonction publique, est d’enquêter sur ce qui peut engager la responsabilité civile ou pénale del’entreprise, ou attenter à ses intérêts. Ses enquêtes sont à finalité disciplinaire, et recherchent la matérialité des faits, les fautes commises et les contrevenants. Cette dé contextualisation fait l’impasse sur le réel du travail.
Dans les situations «hors-jeu» (décalage entre le travail réel et prescrit) c’est la déviance individuelle qui est recherchée, considérée comme faute, au lieu d’être considérée comme «innovation», ou «transgression ordinaire», susceptible de permettre ensuite aux opérateurs de savoir prendre des risques au moment opportun pour faire gagner l’entreprise. Il est donc inquiétant de voir se multiplier des ateliers pour les managers intitulés «les situations hors-jeu» qui traitent non pas des nécessaires marges de manœuvre des opérateurs, mais …de discipline. -
Les obligations de résultats mentionnées dans le code du travail sont oubliées. Les causes et origines des risques psychosociaux, qui ne peuvent être identifiées que par une analyse du travail réel des opérateurs, sont niées, par crainte d’une remise en cause des organisations du travail et par méconnaissance et mépris des intelligences déployées. Si le discours d’Orange à haut niveau paraît pourtant prôner le contraire, si le vocabulaire de la psychodynamique du travail, de l’analyse de l’activité, ou de l’empowerment se distille dans les filières RH et de management, la réalité du terrain montre les dégâts d’un double discours.
On peut donc s’attendre à ce que l’étau du management se resserre à nouveau, de manière décomplexée, avec l’arme de la discipline comme outil de régulation.
A Orange quand il y a «hors jeu», on ne donne pas le ballon à la partie adverse pour rappeler que marquer le but n’est pas le seul critère qui fait la beauté du jeu, mais que cela tient aussi à la beauté du geste, beauté des règles de l’art. Or, cette beauté reste l’angle mort.
A Orange, quand il y a «hors-jeu», on sort le carton Orange. Pour mieux exclure et licencier?