Loi SAPIN sur l’emploi : ce que les députés ont voté le 9 avril

La loi votée le 9 avril ne contrôle pas les dérives et les risques de harcèlement des salariés contenus dans trois de ses mesures.

Le 21 mars 2013, l’Observatoire envoyait à tous les parlementaires un courrier d’alerte sur les risques que  le projet de loi sécurisation de l’emploi fait courir à la Santé publique des travailleurs.  l’Observatoire  avait identifié dans le projet de loi quatre dispositions dont la mise en œuvre aurait des conséquences dramatiques sur la Santé publique des travailleurs, et qui de surcroît, pour deux d’entre elles, ne sont pas ou n’ont pas été assumées par les signataires de l’ANI.

L’assemblé nationale vient de voter ce 9 avril le projet de loi en première lecture.

Ont été amendées les dispositions qui concernent les CHSCT  (art 4 L 4616-1 et sq) pour conserver à ces institutions le fonctionnement prévu par la loi de décembre 1982. Les autres dispositions ne sont pas modifiées sur le fond. 

En refusant de contrôler le dialogue social, les députés ont laissé la porte ouverte  aux dérives  et renvoyé aux partenaires sociaux la responsabilité du harcèlement des travailleurs.
S’affranchir de ces risques c’est fixer les limites du hors jeu social dans des mesures qui touchent  à « la dignité et la santé au travail » (art 31-1 de la charte des  droits fondamentaux de l’UE). A savoir :

1 – Art 10 L2242-22-2° : le harcèlement des salariés par la mobilité forcée géographique ou professionnelle, « dans l’intérêt de l’entreprise » (L1121-1).

Rappelons le résultat de cette mesure pour une seule entreprise : des dizaines de milliers de foyers détruits, des dizaines de suicides dont la cause est attestée par les rapports de l’Inspection du Travail elle même. 
Le 14 novembre 2012, le  MEDEF lui même proposait  d’encadrer les négociations « dans les limites de la définition des offres raisonnables d’emploi » (§4b p9 de sa proposition).
L’ argument évoqué par le gouvernement – en commission de l’assemblée – pour justifier le refus de retenir cette proposition dans la loi  fut d’en faire endosser la responsabilité à la CFTC, qui aurait abandonné la couverture du droit du travail parce qu’il ne couvrait pas tous les cas: outre qu’on s’étonnera de voir la loi dépendre de la demande d’un seul signataire, cela revient à demander la suppression des moyens de prévention du SIDA sous prétexte qu’il arrive quelques fois qu’ils ne fonctionnent pas.

L’assemblée nationale n’a pas retenu la notion « d'(une) offre raisonnable d’emploi », alors qu’elle a accepté celle de « délai raisonnable d’expertise » ; elle a limité la mobilité à sa « conformité à la nature  de la tache à accomplir »  défini par l’article L1121-1.
Mais cet article ne protège pas les intérêts du salarié (vie familiale , personnelle ou professionnelle),  il se réfère à  ceux de l’entreprise : « la nature de la tache à accomplir » peut justifier toute clause de mobilité, malgré les contraintes professionnelle, familiales ou personnelles de l’exécutant (1).

En refusant « une offre raisonnable d’emploi » et en bloquant les mobilités sur le L1121-1, le texte de loi retenu par l’assemblée nationale condamne aussi 5 millions de chômeurs à perdre la protection du L5411-6.

  1.  Il ne s’agit pas ici d’enlever à un entrepreneur la responsabilité de réorganiser son entreprise et de proposer des mesures d’accompagnement,  mais de rappeler ce qui concerne le droit à la santé et à la dignité au travail (art 35 de la charte des droits fondamentaux de l’UE).

2 – Art 8 L2241-13 al.2 : l’absence de contrôle et de limites au « …nombre et à la durée des périodes d’interruption d’activité,   et au délai de prévenance… » des travailleurs à temps partiel.

Tandisque tous les responsables politiques soulignaient que ces mesures touchent l’équilibre de vie, la dignité et la santé de millions de femmes,  la loi met cette population en danger en supprimant sur ces points toute clause de contrôle de la négociation.

Et contrairement à ce qui fut dit à l’assemblée et dans ses comptes rendus, !a suite de l’article 8 les met aussi en danger en maintenant l’article L3123-16 -3° qui spécifie qu’un accord d’établissement puisse « expressément »  décider des délais d’interruption d’activité, sans autre contrepartie. Si 10 % des salariés ne savent pas , aujourd’hui, leurs horaires de travail à la semaine près (DARES fevrier 2013), la rédaction actuelle de la loi permet la continuité de cette situation, qui a des conséquences dramatiques sur leur équilibre de vie. L’organisation du travail par demi journée ou par 24 heures n’y change rien. 

Protéger ces travailleurs en fixant des limites à la négociation des accords d’entreprise ne serait que  se conformer aux intentions exprimées le 19 mars, devant la commission des affaires sociales de l’assemblée nationale, par Mme Geneviève ROY, Vice Présidente de la CGPME :
« Le plus important consistait pour nous à éviter qu’un employeur puisse imposer à son salarié à temps partiel des horaires décalés d’un jour sur l’autre ».

3 – Art 3 L1222-12 à 15  : la mise en disponibilité d’office… sans traitement

Cette mesure est le pendant de la “ rupture conventionnelle ”, dont l’analyse par la CFDT (CEE juillet 2012) a montré que pour 7 “ bénéficiaires ” sur 10 il s’agit d’une “ mobilité contrainte , ni voulue ni sécurisée ”.

La  quasi totalité des intervenants à l’assemblée nationale ont souligné que l’article 3 de la loi permettait le harcèlement des travailleurs et un licenciement déguisé sans frais, (ou au mieux un prêt de main d’oeuvre), car en période de récession la chance de trouver un emploi, pour des seniors qui plus est, est très faible.
Cette mesure risque en effet de permettre le harcèlement de milliers de travailleurs, principalement des seniors : c’est ainsi qu’elle a été appliquée à France Télécom, 800 seniors en ont fait les frais chaque année, avec en guise de retour le placard (un « emploi similaire ») et la descente aux enfers. 
Et encore, France Télécom participait-il  au financement de la mesure : les salariés « partis à l’essai » étaient payés tant qu’ils n’étaient pas sous un autre contrat.

Or le texte adopté ne prévoit aucune protection contre le harcèlement des salariés qui seraient – comme dans le cas de la rupture conventionnelle – contraints à accepter cette mesure, et aucune protection financière de ceux qui en seront les victimes  :  ni salaire d’attente, ni cotisation chômage. La seule réponse apportée par le gouvernement fut que ce sujet  sera examiné par l’UNEDIC, après le vote de la loi, et dans le contexte de déficit bien connu de l’institution.

Notons aussi que, alors que la loi donne au seul chef d’entreprise le droit d’appliquer ces dispositions, le gouvernement déclarait à ce sujet aux députés qui réclamaient le contrôle d’un accord que « l’accord qui se substitue à la loi supprime une protection (sic) : on ne voit pas ce qu’il (peut y avoir) dans un accord d’entreprise, qui s’adapte à chaque entreprise ».

 

D’ autres mesures du projet de loi ont des impacts sur la Santé  au travail, bien que de façon indirecte et à plus long terme, car elles ont pour résultat de couvrir les dérives possibles de l’application des  mesures précédentes:

A – art 13 L 4614-12-1 al 2 : fixation d’un délai de réalisation d’expertise CHSCT  de … 9 jours (7+2) dans 90 % des cas :

Il s’agit du délai de réalisation d’une expertise CHSCT dans le cas d’une réorganisation avec moins de 100 licenciements, une fois ôtés les délais préfix d’information et de consultation prévus dans l’article 13 L 1233-30 et -35. (21 + 15 + 15).
Le rédacteur oublie de comptabiliser dans ces délais ceux de réalisation de l’expertise, et « oublie » de reprendre la note 9 p 14 de l’accord signé le 11 janvier, note qui dégage l’expert de la stricte application du L1233-30.

Cette mesure signifie la fin des expertises CHSCT sur le travail réel et leur remplacement par l’analyse des documents patronaux.

Note : l’assemblée avait accepté de modifier cette disposition pour les experts comptables des CE, en parlant de « délai raisonnable » dans son article 4 L2325-42-1  : elle n’a pas étendu cette correction aux expertises CHSCT (ni aux autres consultations CE, qui sont elles aussi  renvoyées au L1233-30)

B – Art 13 L1235-7-1 et 2 : transfert en cas de litige de la juridiction civile à la juridiction administrative

La rédaction de cet article, qui concerne les motif de contestation des licenciements collectifs,  empêche le règlement des conflits sur le fond, car la juridiction administrative n’a pas compétence pour juger des litiges du domaine prive.
Cette clause contredit la déclaration de M Bescanoni,  du MEDEF,  devant la commission des affaires sociales de l’assemblée nationale, le 19 mars :  

« Nous sommes revenus au tribunal administratif, car nous avons estimé que le système fonctionnait mieux auparavant. Mais il ne s’agit pas d’une autorisation : il doit être clair qu’à aucun moment le tribunal administratif n’a à se prononcer sur le motif – c’est le rôle du pouvoir judiciaire.« 

Art 13 L1233-30 al 8° : légalisation de la fraude au dialogue social.

Outre la fixation de délais préfix qui ne tiennent pas compte des délais de réalisation des expertises, cet article propose de  Remplacer : « une convention ou un accord collectif de travail peut prévoir (des délais ) plus favorables aux salariés »  par :  « une convention ou un accord collectif de travail peut prévoir (des délais) différents« .
Différents , c’est à dire  « moins favorables aux salariés ».

La rédaction de l’article est son propre commentaire. Et son acceptation par les partenaires sociaux et les parlementaires se passe,  elle,  de commentaire.

En conclusion,

Les témoignages et les rapports d’experts (y compris ceux du ministère du travail) montrent  que  ne pas tenir compte de la prévention et des barrières de sécurité en matière  de santé au travail, en laissant leur appréciation à la seule liberté d’un accord d’entreprise, est une erreur grave qui laisse la porte ouverte au harcèlement et au hors jeu social
Car le hors jeu en matière de santé au travail n’est pas une invention, cela existe dans nos entreprises. Trois dirigeants du CAC 40 sont mis en examen pour atteinte à la santé d’autrui, et ce alors même qu’ils faisaient valider leur politique de harcèlement et de mobilités forcées… par un accord GPEC signé par les syndicats de l’entreprise.

Dans  le contexte actuel de récession le maintien des mesures votées peut conduire au harcèlement des travailleurs , à la dégradation du climat social dans les entreprises, à la perte de confiance dans la responsabilité sociale des entreprises, avec des répercutions directes sur la Santé des travailleurs et des familles concernées.
Si 3 chefs d’entreprise sur 5 déclarent avoir l’intention de licencier d’ici 6 mois, (IPSOS janvier 2013), la première urgence serait que les parlementaires et la loi définissent et contrôlent les conditions de dignité et de santé publique dans lesquelles ces départs seront encadrés ou provoqués.

Et que la loi siffle le hors jeu du harcèlement social, comme on siffle le hors jeu de la fraude fiscale.

Pour aller plus loin :

 

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