De nouveaux suicides mettent dramatiquement en cause les méthodes de management chez ORANGE, en particulier dans les Unités d’Intervention,
reconnues dans le rapport Technologia comme l’un des métiers d’ORANGE les plus exposé aux risques, avec ceux de la relation client.
J.P. était Technicien dans une Unité d’Intervention ORANGE.
Le 31 décembre 2012, dans la matinée, alors qu’il était en service, en bleu de travail , qu’il était dans le plan de charge marqué en renfort, J.P. a laissé un courrier dans son véhicule de service puis il s’est allongé sur la voie ferrée entre St Etienne et Lyon et son corps n’a été découvert que plusieurs heures plus tard.
Comment un pareil drame a-t-il pu se produire ?
Des actions de prévention … Inefficaces ?
Depuis la vague de suicides de 2009, de nombreuses expertises ont été menées à France Telecom-Orange afin d’identifier les risques psychosociaux (RPS) majeurs et les actions à mettre en œuvre pour les prévenir.
Alors pourquoi malgré les dispositifs mis en place, les diverses cellules d’écoute, les séances de relaxation, le réaménagement des locaux, pourquoi encore des suicide à France Telecom-Orange ? Pourquoi alors que les risques étaient identifiés et les actions de prévention théoriquement « effectives », pourquoi J.P. lors d’une intervention le 31 décembre a-t-il arrêté sa voiture de service le long de la voie de chemin de fer et s’est-il jeté sous un train ?
La politique de prévention mise en place à grand bruit dans l’entreprise, ne serait-elle finalement qu’une façade destinée a rassurer le grand public mais finalement bien peu efficace en terme de résultat ?
Des risques identifiés
Car les risques étaient connus. L’Institut des métiers de France Télécom, l’enquête nationale sur les RPS dans l’entreprise confiée à Technologia et d’autres expertises de cabinets d’experts avaient livré leur diagnostic sur le métier de technicien d’intervention. Que disent-ils ?
- Pour ce métier, à forte culture technique et regroupant surtout des fonctionnaires, les risques psychosociaux sont liés, entre autres, à une remise en cause de l’identité et des valeurs professionnelles du métier. Les personnels affectés sur ces activités sont très attachés à la notion de service rendu au client et aux valeurs associées.
- la faiblesse du soutien social (des collègues et de la hiérarchie) constitue un second risque, ces techniciens se retrouvant le plus souvent seuls en intervention chez les clients.
- Enfin, le peu d’autonomie qui leur est accordée pour gérer leurs activités représente « également un risque psychosocial, alors que ce sont des personnes très qualifiées.
Des conditions de travail pathogènes
Or quelles étaient les conditions de travail de J.P. fin 2012 ?
- Il avait 57 ans et une longue expérience derrière lui, mais en intervention, il devait, comme un débutant, appeler régulièrement son responsable pour l’informer de l’état d’avancement de son travail. Il devait se justifier s’il avait pris du retard. Il était même envisagé d’équiper les véhicules fournis aux techniciens, pour leurs déplacements chez les clients, d’un outil de géolocalisation pour tracer leurs déplacements.
Il est admis que ces formes d’organisation du travail peuvent être vécues comme une forme de déresponsabilisation ; le faible niveau d’autonomie professionnelle constituant un risque psychosocial majeur.
- Par ailleurs, J.P. ne faisait pas partie, du fait de son activité exercée à distance, d’un véritable collectif de travail de proximité lui permettant de trouver le soutien dont il aurait pu avoir besoin en cas de difficultés ; ce point avait déjà été identifié lors des expertises nationales précédentes, en 2009 et de nouveau en 2012 .
- Enfin, J.P. avait su s’adapter aux évolutions de l’entreprise, tout en conservant une culture du travail bien fait qui procure le respect de soi et du client. Il continuait à se révolter contre les injustices, comme le trucage des indicateurs de production pour qu’ils apparaissent bon, et qui consistait à ne pas tenir compte de son travail dès lors qu’il n’alimentait pas les indicateurs de son service. Comme il l’écrivait dans un mail à sa hiérarchie :
« Je devais produire une liaison 4 paires … Tout l’après midi, nous avons fait de notre mieux, mon collègue et moi, pour éviter un problème cable, sans résultat. J’ai prévenu X . de ce dysfonctionnement et sa réponse, a été de me supprimer du plan de charge hier après midi comme si je n’avais pas été présent ce jour-là ».
Le déni du travail fait.
Comment caractériser le management de ce service capable de noter comme n’ ayant pas existé un travail pourtant bien fait, mais nié et rendu « invisible » du fait qu’il ne correspondait pas aux critères de gestion prédéfinis, sans considération des moyens et du contexte sur lesquels l’agent n’avait pas prise ? Dans un autre mail J.P. note :
« Ce jour là, j’ai pris une pause méridienne de moins d’une heure, travailler en SR sous la pluie, câbler une réglette ras du sol…etc. mon collègue est témoin, le personnel du client aussi, et mes relevés téléphoniques aussi. Considérant que cette sanction est une erreur, je souhaiterai être réhabilité dans le plan de charge (c’est à dire être noté comme ayant travaillé) » .
« Les chiffres de l’UI seront bons et les miens mauvais en terme de présence sur le terrain, d’efficacité et de dossier réalisé » écrivait-il amer. «Je suis honnête et j’ai du mal à supporter l’injustice » soulignait-il montrant par la que la malhonnêteté de ces méthodes de management touchaient à ses valeurs et à son identité professionnelle, ce qui l’exposait à un double risque que l’employeur ne pouvait ignorer ».
Le déni du management.
Alors que le suicide de J.P. s’est produit pendant son service, le Directeur de son Unité refusait obstinément de reconnaître ce drame comme un accident de service, obligeant le CHSCT à transmettre son rapport d’enquête à une commission de réforme censée rendre un avis à sa place.
Force est de constater que cette démarche est le reflet d’une politique d’entreprise qui consiste à chaque drame à refuser d’en assurer la responsabilité et à en pointer tous les éléments personnels, réels ou supposés.
Mais ce déni ne masque-t-il pas d’autres responsabilités non avouables ? J.P. écrivait encore
« Tu m’as confirmé que les dysfonctionnements en matière d’échec de production ou de répétition de dérangement étaient suivis à la loupe par nos dirigeants … »
Quel est le sens de cette remarque sinon que la direction de l’entreprise « regarde les résultats de production à la loupe »… mais ne regarde pas le travail réellement fait par les travailleurs ?
Et c’est bien ce qui a été signifié à J.P. et ce qu’il exprime dans ses mails : son travail, sa santé et sa dignité de travailleur ne sont pas l’objet du débat pour ses chefs : s’il n’atteint pas les bons résultats, pour l’entreprise il n’est rien et il n’a pas travaillé.
L’organisation ORANGE reste décidément encore bien malade…
Comme le notait prémonitoirement Christophe Dejours :
Face à une situation de déni de la part de l’entreprise, il y a « risque pour l’entourage professionnel du défunt de porter la culpabilité de sa mort, qui va empoisonner les relations entre les survivants. Le fait que l’entreprise ne réagisse pas pourrait signifier que la personne décédée ne représentait rien, que même un suicide n’arrête pas (les consignes et les objectifs fixés au ) travail.
Et dans ce cas, il n’est pas rare qu’un suicide soit suivi par un autre suicide… »
Si le business ne tient pas compte du travail et du travailleur, alors la dignité et la santé des travailleurs ne peuvent pas davantage faire l’objet de compromis ni de négociations.
[i] Ces services regroupent l’ensemble des activités d’intervention client, réseau structurant et boucle locale, ils assurent entre autres la production et le SAV des installations clients et des réseaux…
4 commentaires pour “Un suicide emblématique dans une Unité d’Intervention d’Orange.”